" La Saga du Tantra "
" Sur le chemin du Tantra, avec Osho et ses disciples "
Livre en cours d'écriture par Chetan, afin de témoigner de plus de 40 ans d'exploration du Tantra...
Extrait No 2 : " l'arrivée à l'ashram "
Et puis vint le temps du départ ! J’avais un billet d’avion qui me faisait quitter la France le 18 janvier 1980. J’étais content d’aborder la nouvelle décennie en faisant ce pas dans l’inconnu. Je sentais en moi des forces qui me tiraient en avant, et en même temps beaucoup de questionnement. Mon esprit critique disait : « Mais que fais-tu, dans quoi t’embarques-tu ? C’est OK d’aller voir, mais attention, soit prudent, il n’est pas question de te laisser embringuer dans quoi que ce soit où ta personnalité serait gommée, où tu ne serais pas ton propre maître... » ; et je me promettais la plus grande vigilance.
Après un vol de nuit, j’arrive à Bombay au matin du 19 janvier. Là, dès que je sors de l’avion, c'est un choc : une chaleur moite, torride, une odeur abominable, semblable à des relents d’égout… Mais curieusement, tandis que je descends l’échelle de l’avion et pose mes pieds sur le sol, un profond sentiment se fait jour : «je touche enfin le sol de l’Inde ! ». J’ai vraiment l’impression, sur cette piste goudronnée et malgré la chaleur torride et l’odeur épouvantable, de toucher une terre sacrée, de reconnaître une ancienne patrie ; une grande joie et une puissante émotion m’envahissent...
Les formalités douanières sont rapides, mais je me sens perdu, cela ne ressemble en rien à un aéroport moderne : des panneaux avec de vagues indications, quelques bureaux à l'air délabré, des militaires en short avec des vieux fusils… Quel monde étrange !
Je me renseigne autour de moi sur les moyens d’aller à Poona, puisque c’est la cité dans laquelle se trouve l’Ashram de Bhagwan, son école spirituelle. Je sais que cette ville, grande comme Marseille, est voisine de Bombay, à un peu moins de deux cent kilomètres en hauteur sur les plateaux. Quelqu’un me conseille de prendre un taxi, me disant que c'est vraiment très bon marché ; en parlant un peu avec lui, je découvre que ce garçon va lui-même à Poona, c’est un anglais qui s’y ait déjà rendu. Avec mes quelques rudiments d’anglais appris au lycée et à l’université, j’arrive tout juste à me faire comprendre et à échanger avec lui.
Nous décidons de partager un taxi, et nous trouvons une troisième personne qui veut se rendre aussi à Poona, une jeune femme française du nom de Leena qui est professeur d’anglais, ce qui nous est d’une grande aide pour communiquer tous les trois.
Une foule d’enfants et d’adultes est agglomérée derrière les portes de l’aéroport ; dès que nous sortons plusieurs viennent vers nous pour mendier. Je suis abasourdi par la chaleur, l’odeur, le changement de rythme et de climat, et aussi par les douze heures d’avion, la fatigue du voyage et le décalage horaire. Je repousse les mendiants avec difficulté et je me fraye un chemin avec mes nouveaux amis jusqu’au taxi le plus proche. C’est une vieille guimbarde qui semble sortie d’un film des années 50, une voiture noire avec des rayures jaunes. Nous montons à bord, et alors le vrai dépaysement commence...
En sortant de l’aéroport, il y a de chaque côté de la route des bidonvilles, auprès desquels les pires quartiers déshérités d'Europe ressemblent à des palaces : de minuscules masures de toile, des cabanes faites de bric et de broc, avec des égouts à ciel ouvert, ou pas d’égout du tout. Les enfants qui jouent là-dedans sont d’une beauté étonnante, qui contraste avec cet univers de terre rouge, de bouts de ferraille, de bois et de plastique enchevêtrés.
Et cela n’en finit pas, cette misère s'étale sur des kilomètres et des kilomètres. Je suis complètement sidéré ; mon âme d’occidental étant à la fois bouleversée et scandalisée par ce spectacle auquel je ne m’attendais pas. Finalement nous traversons d’autres quartiers, plus modernes, avec cependant des immeubles qui paraissent très lézardés et anciens, mais qui sans doute ne datent pas de plus de quelques années.
Et puis la nature, enfin. Des arbres immenses, des feuillages d’une prodigalité extraordinaire, comme si sur cette terre la végétation croissait avec une force et une vitalité que je n’avais jamais vu auparavant. La route monte, très sinueuse et très étroite ; je suis complètement abasourdi par tout ce qui y circule : quelques voitures à l’aspect antédiluvien, mais surtout des motos et beaucoup de vélos, avec la plupart du temps trois à quatre personnes juchées dessus. Il y a aussi des troupeaux de moutons ou de chèvres, ainsi que d’énormes camions qui paraissent sortis d’un autre âge et dégagent une fumée d’un noir épais (ce qui les aurait fait être arrêtés immédiatement en France !). Et le taxi zigzague au milieu de tout cela à grands coups d’avertisseur...
Lorsqu’une vache se lève et se met à traverser la route, j’ai vraiment peur. Je sens en une fraction de seconde que pour rien au monde le chauffeur ne voudra heurter l’animal, et ira plutôt braquer vers le bord de la route et le vide. Instinctivement je me recroqueville, mais par un véritable miracle le chauffeur passe entre la vache et le ravin, et nous pouvons continuer notre chemin. J’ai vu par la suite beaucoup de ces vaches sacrées de l’Inde, maigres, dans un état parfois lamentable et pourtant princières dans leur comportement, s’arrêtant n’importe où, repartant quand bon leur semble, et à qui les indiens ouvrent toujours le chemin.
Ce voyage de 180 kilomètres dure près de six heures. A un moment, nous nous arrêtons au bord de la route dans une sorte de café où les gens nous dévisagent avec une curiosité absolument pas déguisée. Je rentre dans la salle mais j’ose à peine m’asseoir : tout me parait sale et comme recouvert par une couche épaisse de poussière. Je demande un thé ; si ce n’est la soif ardente qui me tenaille, jamais je n’aurais bu dans un verre qui me semble plus que douteux. Nous repartons au bout de quelques minutes, et j’ai hâte d’arriver au bout de ce voyage qui me semble interminable.
Nous continuons à monter par une route assez escarpée, et traversons des paysages magnifiques où plusieurs cascades dégringolent du haut de parois impressionnantes. Puis nous roulons sur un grand plateau aride, avec des collines au loin, où se trouvent beaucoup de vaches et de moutons et quelques maisons éparses. Enfin, nous arrivons dans les faubourgs de Poona.
Nom magique à mes oreilles, et pourtant ce que je découvre est seulement une grande ville indienne, où des troupeaux d’animaux se mélangent à d'innombrables vélos et à quelques autobus hors d’âge, circulant entre des petits immeubles à la peinture écaillée; une vie intense, grouillante, foisonnante, une foule où se mêlent en une masse compacte une multitude d’enfants et d'adultes, certains traînant de lourdes charrettes, et d'autres des pousse-pousses débordant de légumes, de bananes ou d'autres fruits qui me sont encore inconnus.
Je demande au chauffeur : « Bhagwan Ashram ? » Il ne répond pas mais nous fait descendre dans une station de rickshaws où je découvre avec étonnement ces petits véhicules à trois roues, qui ressemblent à des coccinelles et qui constituent le moyen de locomotion le plus rapide dans cette ville aux rues étroites et encombrées. Nous montons à bord de deux rickshaws, et à peine avons-nous dit « Ashram » que leurs chauffeurs démarrent rapidement, sachant parfaitement, semble-t-il, où aller.
Nous quittons le centre-ville et rentrons dans un quartier plus verdoyant, d’allure plus riche, avec de grandes villas entourées d’arbres. A un moment je vois un panneau indiquant « Koregaon Park ». Les villas deviennent plus grandes, de très beaux jardins se succèdent les uns aux autres, avec des fleurs oranges d’une taille que je n’avais encore jamais vue. L’air devient agréable à respirer, il embaume le parfum des fleurs.
Et puis apparaît un panneau « Shree Rajneesh Ashram ». Les chauffeurs tournent dans une petite rue aux trottoirs remplis de marchands vendant des pierres, des tissus, des vêtements, des étoffes, des noix de coco... Tout cela est très coloré, très joyeux, et une émotion commence à me gagner, comme si l’air que je respire était devenu un peu différent, comme si je me rapprochais d’un but longtemps désiré et qui m’était pourtant encore inconnu.
Nous avançons lentement le long de cette rue jusqu’au niveau de l’Ashram. De grandes portes en bois sculpté créent une magnifique entrée de part et d’autre de deux colonnes de marbre. Nous descendons des rickshaws et nous dirigeons vers une petite maison d’accueil qui se trouve juste à droite de l’entrée. Là nous pouvons laisser nos bagages et acheter un passe d’entrée pour la modique somme de cinq roupies (environ deux francs). C’est en début d’après-midi, le 19 janvier 1980, que pour la première fois je pénètre dans l’Ashram de Bhagwan Shree Rajneesh.